« J’étais gouverné par une timidité maladive » : Henri Gruvman, pionnier du ciné-théâtre, revient sur les moments clés de sa carrière

« J’étais gouverné par une timidité maladive » : Henri Gruvman, pionnier du ciné-théâtre, revient sur les moments clés de sa carrière

« J’étais gouverné par une timidité maladive » : Henri Gruvman, pionnier du ciné-théâtre, revient sur les moments clés de sa carrière

On pense souvent que la timidité est un défaut. Henri Gruvman en a fait une force. Le comédien et metteur en scène de renom a su trouver la determination nécessaire pour faire de sa passion un métier malgré les doutes et les réticences de sa famille. Rencontre avec l’un des pionniers du ciné-théâtre actuellement à l’affiche de la pièce « Il est interdit de vieillir » au Studio Hebertot.

Comédien, metteur en scène et auteur, Henri Gruvman combine depuis 50 ans ces différentes activités. Membre co-fondateur du “Théâtre de L’Aquarium“ à la Cartoucherie de Vincennes, il a commencé sa carrière avec ce collectif. Quittant le groupe, il va surtout se faire connaître par ses spectacles de "Ciné-Théâtre" dont il est l’un des pionniers en France. Il a ainsi créé “Grugru 1er“ au Festival d’Avignon. Trois autres versions ont suivi. Elles lui ont permis de sillonner le monde et de participer aux plus grands Festivals de théâtre et de cinéma.

Votre carrière est inspirante tant elle est riche, entre la comédie, l’écriture, la réalisation, la mise en scène et l’enseignement. D’où vient cette passion pour le milieu artistique ? 

H.G : Ce n’est pas le milieu artistique qui me fascine, mais l’art sous toutes ses formes, principalement le théâtre, le cinéma et la littérature. D’ailleurs, tout a commencé par ma passion pour la lecture qui me permettait d’aller ailleurs et d’échapper au fond triste et tragique qui m’entourait dans une famille marquée par la guerre. Contre ça, il y avait Jules Verne, Spirou, Dostoievsky, Chaplin et Marceau. Ma passion de l’art prend sa source dans ma profonde nécessité à sortir de moi. J’étais gouverné par une timidité maladive, un manque de confiance paralysant. Parfois, ça bondissait hors de moi en récitation. Je ne sais plus si la récitation existe encore dans les petites classes, mais j’aimais ça. J’avais du plaisir à lire des textes et les réciter. Les timides se permettent des choses que les autres ne peuvent pas faire, par exemple un solo. Vive les timides ! 

À quel moment avez-vous réalisé que vous souhaitiez en faire votre métier ? 

H.G : Dans ma famille il n’y avait pas d’artistes. Je viens d’une famille très modeste d’immigrés de Russie et de Pologne. Mon père et ma mère s’étaient saignés pour que je puisse étudier. Et moi, diplômé d’une grande école de commerce, je voulais faire le comédien ! Un non sens, une incongruité, un pur scandale. Il est parfois très difficile de donner tort à ses parents, alors je transigeais. Un peu de cours de théâtre par ci par là, et du travail à mi-temps. Il n’y a pas eu de moments où une vocation s’est imposée à moi, mais plutôt des allers et retours constants. C’était là, et ça s’évanouissait. Ce désir de théâtre était bien là, mais il était volatile, capricieux et trop soumis au succès et aux remarques flatteuses ou destructrices des autres. Je n’avais pas confiance, je n’osais pas y croire. Même dans les cours de théâtre, le moindre échec me terrassait. Je disparaissais avec mon désir enfoui, bien caché dans les replis multipliés de mes doutes qui s’en donnaient à coeur joie pour me persécuter.

Que diriez-vous à un jeune comédien qui souhaite vivre de sa passion ?

H.G : Je lui dirais écoute la petite voix à l’intérieur de toi. Ne l’étouffe pas au profit de ce qu’il est bon de faire ou de dire et que les autres te proposent. Méfie-toi de ceux qui sont censés savoir. Ils savent peut-être, mais il savent pour eux, et ils te collent le plus souvent leur propre histoire. J’aime l’idée que la vérité d’un comédien se trouve aussi dans ses défauts. Laisse-toi guider par tes admirations et n’aie pas peur de solliciter les comédiens que tu admires ou tout autre personne qui te fait vibrer, de leur faire part de tes émotions. Si tu es sincère, tu seras toujours bien reçu, car l’art, et beaucoup le théâtre, est partage d’émotions.

Vous évoluez dans le milieu du théâtre depuis plus de 50 ans. Quelles évolutions avez-vous remarqué entre vos débuts et aujourd’hui ?

H.G : Je remarque beaucoup de changements, surtout en ce qui concerne la vente des spectacles. Les acheteurs éventuels étaient le plus souvent guidés par leur coup de coeur. C’est encore le cas, mais beaucoup moins. L’impératif de rentabilité est plus pressant et les programmateurs sont sous pression. Ils prennent moins de risques car ils ont peur du flop. Même s’ils aiment un spectacle, ils hésitent à le programmer s’il n’est pas reconnu. En ce qui me concerne, j’ai bénéficié de nombreux coups de coeur. Et puis il y a plus de spectacles, et les réseaux sociaux modifient énormément les données et le travail de promotion, et même le goût du public. 

Vous êtes actuellement sur scène dans « Il est interdit de vieillir ». Quelle était votre intention en écrivant cette pièce ?

H.G : L’âge est une question qui se pose à tout le monde. C’est à la fois tragique et comique. D’ailleurs, la commedia dell'arte est là aussi pour nous faire sourire et ironiser sur les méfaits, non du tabac, mais de l’âge. Il m’est ainsi apparu qu’une bonne manière de gérer le vieillissement était aussi de s’en moquer, mais pas seulement. J’avais entre les mains des images de moi beaucoup plus jeune. Je désirais un mix de théâtre et de cinéma, mais aussi de réalité et de fiction. Ainsi sont nés deux personnages. L’un que j’ai appelé L’inspecteur du corps, interprété par moi-même comme étant mon double, avec un côté sombre et drôle à la fois. Et puis une image réconfortante libératrice nommée La célébrante du corps, incitant le personnage à la sensualité et au plaisir .

Cette pièce mêle cinéma et théâtre, une combinaison que vous connaissez très bien puisque vous êtes l’un des premiers à l’avoir utilisée. Parlez-nous en.

H.G : Je suis l’un des pionniers de cette forme dont l’idée m’est venue lors d’une tournée aux États Unis en 1978. Personne ne faisait ça à l’époque, et j’ai perçu très vite l’intérêt de cette combinaison, surtout quand elle a une justification dramaturgique et n’est pas seulement une quête du spectaculaire. Le centre Rachi en 2021 m’a fait une commande. Ce fut le déclencheur . J’ai une longue histoire avec le seul en scène. Je l’ai beaucoup pratiqué avec notamment « Grugru, ou quand le théâtre embobine le cinéma », invité aux principaux festivals de théâtre (le Fringe First Award à Edimbourg ) ou de cinéma (invité spécial du Festival de Cannes et de San Sebastian).

De quoi vous êtes-vous inspiré pour écrire ce spectacle ?

H.G : J’ai des inspirations plus ou moins conscientes, c’est-à-dire les artistes, écrivains et philosophes que j’aime comme Chaplin, Fellini, Cortazar, Woody Allen, Appelfeld, Montaigne, Kantor… Ils m’influencent sans que je le sache d’une façon discrète et souterraine. Merci à eux.

Quel est votre plus beau souvenir artistique ?

H.G : C’est un spectacle de Jerzy Grotowsky vu au Théâtre de L’Épée de Bois. Un souvenir inoubliable avec son spectacle « Akropolis » et aussi bouleversant que le spectacle de Kantor avec le génial « La classe morte ».

Parlons castings. Vous en avez passé souvent dans votre carrière ?

H.G : Je n’ai pas passé beaucoup de castings. J’étais trop stressé. Je me suis rendu compte qu’il fallait à la fois un détachement et aussi un investissement. La réussite était dans cet équilibre là. Et moi, soit j’étais totalement détaché, soit j’étais tellement investi que je perdais ma disponibilité et mon naturel. Bref j’étais trop là ou pas du tout. 

Une anecdote à nous raconter ? 

H.G : Je ne dirais pas qui m’a fait ce coup là, mais à l’époque certaines personnes se permettaient des choses inimaginables. Les choses ont heureusement changé. Elle me dit « vous pouvez ôter votre veste... tournez-vous s’il vous plaît ». Elle appelle quelqu’un en lui demandant «qu’en penses-tu ». Je suis de dos je ne réagis pas. La femme me demande « vous vous demandez pourquoi ? » puis me dit « Louis de Funès est très fatigué. On cherche un dos pour le doubler pour certains plans ».

Quel conseil donneriez-vous aux membres de Casting.fr qui se postulent à des castings ? 

H.G : Il faut être là et distant à la fois. Et surtout, être dans l’instant. Être naturel et disponible, en contact avec ce qui arrive et avec tout ce qui vous entoure et surtout avec le directeur de casting.

Informations pratiques sur "Il est interdit de vieillir" :

Studio Hébertot : 78 boulevard des Batignolles 75017 Paris (métro Rome).
Décembre : tous les mardis et mercredis à 21h.
Janvier : tous les lundis, mardi et mercredis à 21h.

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